L’ Evangile de Marcion
Marcion est né aux environs de 85 et mort aux environs de160
Il radicalisa les thèses antijudaïques de Paul: l'histoire d'un évêque réputé hérétique du deuxième siècle par le théologien Adolf von Harnack
Adolf von Harnack, Marcion, l’évangile du Dieu étranger. Contribution à l’histoire de la fondation de l’Église catholique, traduit par Bernard Lauret. Contributions de Bernard Lauret, Guy Monnot et Émile Poulat. Essai de Michel Tardieu, « Marcion depuis Harnack »
Quand on dit et ils sont nombreux , les historiens théologiens, qui le disent que Jésus n'est pas le fondateur du christianisme, le grand public n'en ressent nulle inquiétude, car il conclut immédiatement que l'on veut dire ainsi que le véritable fondateur du christianisme est Paul. C'est vouloir se voiler la face. Jésus et Paul appartiennent à la même génération. Les raisons qui veulent que Jésus ne soit pas le fondateur du christianisme s'appliquent autant à Paul, ainsi qu'à Pierre, Jean, Jacques, André et les autres. Le christianisme n'est pas fondé par la génération apostolique. Là est le problème. Marcion appartient à la première génération postérieure aux apôtres. Marcion serait-il le véritable fondateur du christianisme ?
Lorsque Justin de Neapolis, comme le rappelle Adolf von Harnack, qualifie Marcion de "fondateur de religion", il veut dire par là que Marcion fonde sa propre religion, le marcionisme, mais nullement le christianisme, dont, au contraire, selon lui, Marcion se serait éloigné. Cinquante ans avant Irénée, Justin écrit un traité contre les hérésies, malheureusement disparu et qui est le premier traité contre les hérésies. C'est-à-dire que, pour sa part, Justin fonde l'hérésiologie ; il fonde la distinction fondamentale, si j'ose cette lourde répétition, entre l'orthodoxie et l'hétérodoxie. Cette distinction est elle-même fondatrice. Justin aussi est l'un des fondateurs du christianisme. Le christianisme est une fondation collective, qui s'est déroulée sur plusieurs générations ; il existe donc une chronologie dans cette fondation et - également - une hiérarchie parmi ces fondateurs.
Le spécialiste de Marcion, Adolf von Harnack, l'entend bien ainsi qui positionne Marcion entre Paul et Augustin. Pour ma part, Paul, je viens de l'éliminer en tant que fondateur. Augustin, en revanche, me semble l'un des plus grands ; mais il est relativement tardif. Marcion est le premier. Si cette position est juste , comment expliquer que l'histoire conventionnelle des origines du christianisme, accorde une place quasi-nulle à un tel personnage ? C'est que, tout simplement, cette histoire est faite sur la base d'un principe qui voudrait que l'orthodoxie ait été première, qu'elle ait consisté en l'enseignement émis par Jésus de Nazareth et fidèlement transmis par ses disciples, sous l'autorité décisive de Pierre. L'hérésie serait venue ensuite, l'hérésie docète, l'hérésie gnostique, l'hérésie marcionite, etc…Marcion étant tantôt assimilé à un gnostique, tantôt non. Aucun nom ne s'attache à la supposée hérésie docète. En revanche, le premier gnostique serait Simon de Samarie ou Simon le magicien que l'on voit mis en scène dans les Actes au chapitre 8. Même si Marcion est assez éloigné de la Gnose, il est indispensable, pour le comprendre et pour le comprendre comme l'un des véritables fondateurs du christianisme.
Le sous-titre du "Marcion" de Adolf von Harnack est "l'Evangile du Dieu étranger". En effet, Marcion va annoncer un Dieu étranger, un Dieu "autre" et c'est en cela qu'il est le premier parmi la confrérie des fondateurs du christianisme. Jésus n'annonce pas un Dieu autre. Le Dieu de Jésus est celui des juifs de son époque. Et c'est en cela que Jésus n'est pas le fondateur du christianisme. Paul non plus n'annonce pas un Dieu autre. Le Dieu de Paul est celui de Jésus. Quant à savoir si, pour Paul, Jésus est Dieu, c'est la très complexe question de la divinité de Jésus dans laquelle, pour l'instant, je n'entrerai pas.
Il est vrai que Paul annonce aux Grecs un "Dieu inconnu". Mais ce Dieu inconnu, aux yeux de Paul, n'est inconnu que pour les Grecs. Paul, quant à lui, le connaît : c'est son Dieu. L'histoire conventionnelle des origines du christianisme présente l'échec de la mission athénienne de Paul par le refus des Grecs de croire à la résurrection. Cela ne tient pas historiquement. Il y a, en Grèce, à l'époque de Paul, des gens qui croient à la résurrection et d'autres qui n'y croient pas, probablement dans les mêmes proportions que dans le monde juif. Quelles sont ces proportions ? C'est impossible à établir. Mais la croyance ou le doute quant à la résurrection est, elle, facile à prouver. Non pas la résurrection de Jésus, mais la résurrection comme phénomène physique rare peut-être, mais possible.
Deux choses faussent totalement l'histoire des origines du christianisme : c'est le rapport de la religion nouvelle non seulement avec le judaïsme archaïque, mais avec la réalité politique et sociale qui est celle d'Israël deux siècles avant et deux siècles après Jésus-Christ. La deuxième, c'est le rapport entre une métaphysique nouvelle qui se met en place, la transcendance, et la métaphysique classique existante, si du moins on peut la considérer comme unique , ce qui n'est pas vraiment le cas : il y a la métaphysique aristotélicienne, bien sûr ; mais il y a de nombreuses métaphysiques déviantes, les métaphysiques gnostiques, ésotériques, autrement dit.
Quelques propos de Paul aux Athéniens : " Quand je parcours vos rues, mon regard se porte en effet souvent sur vos monuments sacrés et j'ai découvert entre autres un autel qui portait cette inscription : "Au dieu inconnu." Ce que vous vénérez ainsi sans le connaître, c'est ce que je viens, moi, vous annoncer. Le Dieu qui a créé l'univers, et tout ce qui s'y trouve, lui qui est le Seigneur du ciel et de la terre, n'habite pas des temples construits par la main des hommes et son service non plus ne demande pas de mains humaines, comme s'il avait besoin de quelque chose, lui qui donne à tous la vie et le souffle, et tout le reste. A partir d'un seul homme, il a créé tous les peuples pour habiter toute la surface de la terre, il a défini des temps fixes et tracé les limites de l'habitat des hommes ; c'était pour qu'ils cherchent Dieu ; peut-être pourraient-ils le découvrir en tâtonnant, lui qui, en réalité, n'est pas loin de chacun de nous. Car c'est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l'être, comme l'ont dit certains de vos poètes. Car nous sommes de sa race "