17 Février 2024
L’évangile selon Thomas est un écrit apocryphe chrétien qui figure dans la deuxième partie du codex II de Nag Hammadi.
Découvert en décembre 1945 à Nag Hammadi, en Haute-Égypte, associé dans le même codex à d’autres textes également rédigés en copte, le manuscrit date du IVe siècle mais a probablement été rédigé sur base d'un original grec dont on a retrouvé des traces dans des papyri d'Oxyrhynque N°1 datés du IIIe siècle.
Ce « cinquième évangile » pourrait provenir d'un milieu syriaque ou palestinien, rédigé par une série de rédacteurs entre le Ier et le IIe siècles. Certains chercheurs y détectent des éléments présynoptiques. Toutefois, ce point de vue ne fait pas consensus.
Il s'agit d'un recueil de sentences — des logia — qui, selon l’incipit du texte, auraient été prononcées par Jésus et transcrites par « Didyme Jude Thomas ». Au nombre de 114, les logia sont ainsi le plus souvent précédés de la mention « Jésus a dit ». Bon nombre ont leur parallèle dans les évangiles selon Matthieu et selon Luc ainsi que, dans une moindre mesure, dans l’évangile selon Marc.
Jésus dit : «Connais ce qui est en face de ton visage, et ce qui t’est caché se révélera à toi. Car rien de caché ne manquera d’être révélé!» (Evangile apocryphe de Thomas, ludion 5)
La découverte d’un évangile perdu dans une jarre égyptienne en 1946 plonge la chrétienté dans la perplexité. Et si l’on avait retrouvé des «inédits» de Jésus. Une énigme à méditer en cette période d’approche de Pâques.
Thomas est celui des douze apôtres qui ne crut à la résurrection du Christ qu’après avoir mis le doigt dans les blessures (Jean 20, 24-29)
Qui a dit que l’histoire de Jésus était écrite, une fois pour toutes, aux siècles des siècles? Certainement pas les archéologues et théologiens qui se sont penchés sur une stupéfiante découverte faite à Nag Hammadi, Haute Egypte, en 1946. Des paysans y ont en effet déterré (par hasard) une jarre dont le contenu plonge la chrétienté dans une certaine perplexité : parmi les 1200 pages de textes très anciens qui y ont été enfermés figure une copie en langue copte de l’Evangile perdu de Thomas. Ce texte (qui fait référence au disciple sceptique qui toucha du doigt les bles- sures du Christ ressuscité) était utilisé au IV e siècle de notre ère par des communautés en marge de l’Eglise officielle, les gnostiques. Si l’existence de cet Evangile apocryphe était connue des théologiens, on en avait complètement perdu la trace depuis le IV e siècle.
Paradoxe de l’archéologie, c’est le disciple emblématique du doute qui nous plonge dans l’étonnement. Car la découverte de Nag Hammadi comporte un enjeu théologique et historique énorme. Comme la chrétienté se fonde largement sur l’enseignement de Jésus, la découverte de 114 paroles du Christ
– sous forme d’une «interview» dont on aurait perdu les questions pourrait bouleverser la face du christianisme, d’autant que la majorité d’entre elles paraissent absolument authentiques. D’où de multiples interrogations qui agitent aujourd’hui encore les milieux scientifiques : que faut-il penser de ces
«révélations», qui, de surcroît, s’appelaient vraiment «Paroles cachées de Jésus écrites par Thomas»?
Nous aurait-on caché certains enseignements du Christ? Et pourquoi? Ces questions, et beaucoup d’autres, Jean-Daniel Kaestli se les est posées. S’il refuse d’entrer dans la plu- part des polémiques, ce professeur de théologie à l’Université de Lausanne et spécialiste de «L’Evangile de Thomas» estime néanmoins que
«l’Evangile de Thomas mérite d’être placé à côté des quatre évangiles du canon. Il doit être étudié à part entière.»
Indicible secret «Paroles cachées de Jésus écrites par Thomas», tel est le titre primitif de l’Evangile de Thomas, dont une interprétation littérale laisserait supposer que ces paroles doivent rester secrètes. Pour Jean-Daniel Kaestli, ce qui est caché, c’est leur sens profond :
«C’est une invitation à interpréter les paroles de Jésus qui recèlent, au-delà du sens manifeste, un sens mystérieux.»
La notion de secret se manifeste avec une acuité particulière lors d’un épisode fameux de l’Evangile de Thomas où Jésus souffle trois mots à l’oreille de Thomas, que ce dernier refuse ensuite de répéter aux autres disciples.
«Que t’a dit Jésus? Si je vous dis les paroles qu’il m’a dites, vous prendrez des pierres et les jetterez contre moi. Alors un feu sortira des pierres et elles vous brûleront» (logion 13).
Jean-Daniel Kaestli, professeur de théologie à l’Université de Lausanne et spécialiste de «L’Evangile de Thomas»
L’un des manuscrits retrouvés à Nag Hammadi en 1946
Thomas apparaît ici comme le confi- dent de Jésus, le dépositaire d’une vérité indicible. De quoi lui conférer une stature particulière, celle d’élu du Christ chargé de poursuivre son œuvre. Si cela était vrai, la face du christia- nisme en serait transformée. Mais pour Jean-Daniel Kaestli, il s’agit davantage d’une profession de foi que d’une réa- lité.
«J’exclus que cette scène ait eu lieu. Elle reflète la conviction d’une communauté chrétienne, sans doute proche des gnostiques, qui vénérait Thomas. La scène a été inventée par cette communauté qui, comme c’était l’usage, l’a mise dans la bouche de Jésus. C’est un phénomène typique des premiers siècles chrétiens : les communautés chrétiennes se réclamant d’un apôtre produisaient un évangile «sur mesure» qui fondait leur croyance.»
Le style de Jésus
D’autres passages de l’Evangile de Thomas semblent eux aussi inventés, comme celui-ci :
«Jésus a dit : les images se manifestent à l’homme et la lumière qui est en elles est cachée. Dans l’image de la lumière du Père, elle se dévoilera et son image sera cachée par sa lumière» (logion 83).
Ces paroles obscures et spéculatives contrastent singulièrement avec les quatre évan- giles du Nouveau Testament. Elles recourent à des concepts abstraits qui rappellent le langage de la philosophie grecque plutôt que le noyau le plus sûr des paroles de Jésus :
«Il s’agit d’une affirmation d’inspiration gnostique, relève Jean-Daniel Kaestli. Car le style de Jésus est beaucoup plus incisif et immédiat, parfois même choquant. En témoigne l’injonction lancée à ses dis- ciples selon laquelle quiconque ne hait pas ses parents ne peut pas le suivre (Luc 14, 26).»
Les papyrus découverts en 1946 à Nag Hammadi en Haute Egypte constituent l’une des plus sensationnelles découvertes archéologiques du siècle. C’est par hasard que des paysans ont déterré une jarre contenant une cinquantaine de textes (1200 pages) rédigés en langue copte, et datant du milieu du IV e siècle. Certains de ces écrits sont en réalité des traductions d’originaux grecs remontant au IIe siècle de notre ère. Ils donnent un aperçu de la diversité et du foisonnement de la réflexion théologique chrétienne ancienne. Sur ces 1200 pages, qui sont tou- jours en cours d’étude, quatre écrits sont à peu près complets, dont l’Evangile de Thomas. Ce dernier, constitué exclusivement de paroles de Jésus, fit sensation, puisque l’enseignement du Christ a une importance décisive pour la foi.
Dès le IV e siècle, l’Evangile de Thomas figure cependant sur des listes de textes à rejeter, sans doute parce qu’il était lu dans des communautés qui se situaient en marge de l’Eglise officielle.
JOP
Les disciples disent à Jésus :
«Dis-nous comment sera notre fin.»
Jésus dit :
«Avez-vous donc dévoilé le commencement, pour que vous questionniez sur la fin? Car là où est le commencement, là sera la fin. Bienheureux est celui qui atteindra le commencement : il connaîtra la fin, et il ne goûtera point à la mort!» (Evangile apocryphe de Thomas, ludion 19)
Jésus et les disciples, dont Thomas
Un cinquième évangile?
Certains chercheurs n’ont pourtant pas hésité à prétendre que l’Evangile de Thomas devait figurer dans le Nouveau Testament. Ils affirmaient qu’il était antérieur aux quatre évangiles canoniques et leur avait servi de source. En défendant cette thèse, un auteur français a même défrayé la chronique dans «Paris-Match» en 1975.
Il est vrai que de l’avis général des scientifiques, l’Evangile de Thomas se rattache à des traditions fort anciennes, et que certaines paroles ont de bonnes chances d’avoir été prononcées par Jésus. Mais la démonstration de l’antériorité de l’Evangile de Thomas sur ceux de Matthieu, Marc, Luc et Jean, n’a jamais pu être faite. Et d’ailleurs, l’eût-elle été que cela ne suffirait pas à le propulser dans le Nouveau Testament. Car la ques- tion relève de l’autorité de l’Eglise qui n’a pas les mêmes critères que les scientifiques :
«L’Eglise ne se fonde pas sur l’authenticité historique mais sur la vérité du témoignage, signale Jean-Daniel Kaestli. A cette aune, elle a jugé que l’Evangile de Thomas relevait d’une pensée sensiblement différente des autres Evangiles, et parfois en rupture avec eux.»
L’Eglise a-t-elle menti?
On ne s’est pas privé d’accuser l’Eglise d’avoir volontairement tenu ce texte secret afin de pouvoir préserver sa doctrine et son pouvoir. Pour Jean-Daniel Kaestli, l’accusation ne tient pas.
«On y cherchera en vain des passages scandaleux ou révolutionnaires. Par ailleurs, la question de savoir quels évangiles doivent figurer dans le Nouveau Testament est close depuis le II e siècle, et l’Evangile de Thomas n’a pas été utilisé depuis lors. Cela n’aurait donc aucun sens de l’inclure aujourd’hui dans le Nou- veau Testament alors que nous n’avons aucune trace de sa réception dans l’histoire.»
Du côté catholique, les savants ont pu étudier librement l’Evangile de Thomas, de même que l’ensemble des textes de Nag Hammadi :
«L’Eglise ne s’est pas sentie menacée par cette découverte, commente Jean-Daniel Kaestli. De nos jours, elle admet la démarche critique de la recherche académique, même si cela remet en cause des vérités de foi. Cela dit, je pense que l’Eglise ne reconnaîtra jamais un cinquième évangile, même si l’on découvrait un jour un texte aussi ancien et vénérable que les évangiles canoniques.»
Une mosaïque représentant Thomas
Preuve scientifique
L’Evangile de Thomas a été d’une grande utilité pour les sciences bibliques. Il a prouvé une hypothèse échafaudée par les savants afin de rendre compte des nombreuses similitudes entre les évangiles canoniques, ceci bien qu’ils aient été rédigés à des époques et en des lieux différents. Les savants postulaient l’existence d’une source commune – «la source Q» – sous la forme d’un recueil de paroles de Jésus circulant à l’époque de la rédaction des évangiles de Matthieu et de Luc, et leur servant de référence. Avec l’Evangile de Thomas, l’hypothèse est devenue quasi-certitude. Cette «source Q» irrigue les évangiles de Matthieu, Luc et Thomas, ainsi que d’autres textes anciens : «Quand on tombe sur des citations de paroles de Jésus dans des textes du II e siècle, par exemple chez Justin, on s’aperçoit que certaines paroles ne correspondent pas à la forme canonique du Nouveau Testament. En fait, ces textes ne citent pas les évangiles, mais des sources parallèles comme «la source Q» ou la tradition orale», précise Jean-Daniel Kaestli. Bon pour l’historien
Pour porter un jugement global sur l’Evangile de Thomas, Jean-Daniel Kaestli appelle à une distinction entre le théologique et l’historique. Sur le plan théologique, il donne raison aux Pères de l’Eglise qui ont écarté l’Evangile de Thomas. Sur le plan historique, il en recommande la lecture pour mieux saisir le christianisme des origines dans sa diversité :
«On s’aperçoit que le christianisme des premiers temps était plus varié qu’on ne le pensait. Il y a eu en son sein des courants très différents, notamment des courants spiritualistes ou gnostiques. Ces derniers sont le reflet d’un sentiment de peur et d’alié- nation, très répandu dans les premiers siècles, face à la société de l’Antiquité tardive. L’Evangile de Thomas nous permet de remonter aux racines de cette angoisse, et peut-être aussi de mieux comprendre celle de notre époque.» Jacques-Olivier Pidoux
Le gnosticisme est une forme de religion fortement dualiste, rejetant le monde matériel, le corps et la sexualité. Elle a fleuri dans l’Antiquité tardive, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur du christianisme. Les gnostiques chrétiens ont formé des communautés actives du II e au IV e siècle. Ils enseignaient des doctrines spéculatives et ésotériques pour procurer à leurs adeptes la réponse à des questions existentielles: d’où venons-nous? qui sommes-nous? où allons-nous? Ils affirmaient l’opposition entre un Dieu suprême,
«le Père», et un Dieu inférieur, le «démiurge», créateur du monde visible. C’est probablement au sein d’une de ces communautés gnostiques de Syrie orientale que s’est développée une vénération pour l’apôtre Thomas, cristallisée dans l’Evangile de Thomas. La pensée gnostique a été déclarée hérétique par l’Eglise. JOP
Les Evangiles racontent que Thomas et les autres apôtres ont fui au moment de la crucifixion. Ce qui n’empêche pas le peintre Marc-Gabriel Charles Gleyres de nous offrir cette scène imaginaire
Jésus dit : «Je suis la lumière, celle qui est sur eux tous. Je suis le Tout, et le Tout est sorti de moi et Tout est revenu à moi. Fends le bois : je suis là; soulève la pierre et tu m’y trouveras!» (Evangile apocryphe de Thomas, ludion 80)
LES APOCRYPHES
Le terme «apocryphe» désigne des textes qui mettent en scène des person- nages appartenant aux origines du christianisme (Jésus, Marie, les apôtres), mais qui n’ont pas été retenus dans le Nouveau Testament. La liste normative – le canon – des livres du Nouveau Testament a été fermement fixée au IV e siècle, et certains textes apocryphes qui jusque-là avaient joui d’une certaine autorité ont été écartés. Mais c’est entre le II e et le IV e siècle que se situe la
période décisive où le canon du Nouveau Testament s’est progressivement imposé. Le critère de sélection semble avoir été l’usage. Un consensus s’est formé entre les différentes communautés chrétiennes autour des quatre évangiles canoniques (Marc, Matthieu, Luc et Jean), qui n’a pas été modifié depuis la fin du II e siècle. Les écrits restés en dehors du canon n’étaient pas investis de la même autorité. Ils étaient peu utilisés pour la liturgie, l’enseignement et la réflexion théologique. Certains d’entre eux furent expressément condamnés; on mit en cause leur attribution à des apôtres de Jésus et on les qualifia d’«apocryphes». Ce terme, qui désignait à l’origine un écrit «secret», «caché», prend alors un sens négatif, synonyme de «faux» ou d’«hérétique».
Mais le rejet des apocryphes n’a jamais réussi à les faire disparaître. Les textes bannis ont souvent été réécrits sous une autre forme ou dans une autre langue avant d’entrer à nouveau en usage. Dans la recherche actuelle, les apocryphes ont pris une nouvelle importance et sont étudiés au même titre que la Bible. Certains d’entre eux, issus de milieux situés en marge de l’Eglise officielle, permettent de connaître certaines formes du christianisme qui s’écartent du courant majoritaire. D’autres contribuent à la connaissance du judéo-christianisme qui est la forme la plus primitive du christianisme. JOP
Jésus dit: «J’ai jeté un feu sur l’univers, et voici : je veille sur lui jusqu’à ce qu’il embrase.» (Evangile apocryphe de Thomas, ludion 10)
Voici Les Paroles Cachées De Jésus