10 Avril 2024
Si maintenant nous faisons abstraction, dans les divers groupes de traits traditionnels que nous avons énumérés, de tous ceux qui n’ont ou sont suspects de n’avoir aucune valeur historique, il nous reste entre les mains comme le noyau solide des récits relatifs au Bouddha ; et ce groupe de faits positifs, nous avons le droit de le revendiquer comme une acquisition à la vérité fort modeste, mais absolument sûre, pour l’histoire.
Nous avons connaissance du lieu de naissance du Bouddha et de la race dont il était sorti. On nous parle de ses parents, de la mort prématurée de sa mère, de la sœur de celle-ci, qui éleva l’enfant.
Nous connaissons encore nombre de données du même genre qui se rapportent aux diverses parties de sa vie. C’est ainsi que nous possédons également sur son rival Nâtaputta des renseignements analogues, qui, si on les compare à ceux relatifs au Bouddha, en diffèrent, d’une façon qui inspire toute confiance. Il serait inconcevable, même dans l’Inde, que la communauté qui tirait son nom du fils des Sakyas n’eût pas conservé, un siècle après sa mort, jusque sous le déguisement des légendes, le souvenir exact des noms les plus importants des personnes de l’entourage du Bouddha et de certaines circonstances capitales de sa vie extérieure.
Qui regarderait comme possible qu’au sein des jeunes communautés chrétiennes du 1er siècle le souvenir de Joseph et de Marie, de Pierre et de Jean, de Judas et de Pilate, de Nazareth et du Golgotha eût pu se perdre ou être remplacé par des fictions ?
C’est ici, ou jamais, le cas d’accepter en toute simplicité des faits tout simples.
Ou bien sommes-nous dans l’erreur et est-ce la critique qui a raison quand elle prétend découvrir encore ici de malignes impostures ? Le nom de la ville natale du Bouddha ne doit-il pas éveiller le soupçon, Kapilavatthu, le séjour de Kapila, du vieux sage mythique, fondateur de la philosophie Sânkhya ?
Comment ne pas chercher dans un pareil nom toutes sortes de mystères mythologiques, allégoriques, littéraires, et comment par suite n’en pas trouver ?
Même avant l’ère nouvelle inaugurée par les recherches de Waddell et l’heureuse découverte de Führer (1896) il ne me semble pas que les témoignages en question aient été véritablement si insuffisants. Se peut-il rien de moins captieux que d’entendre un vieux poème du Suttanipâta tracer la route de Brahmanes en voyage qui vont de Kosambi à Sâketa, puis à Sâvatthî, à Setabyâ, à Kapilavatthu et de là à Kusinârâ, à Pâvâ et Vesâlî ?
Les pèlerins chinois qui ont visité l’Inde, au Ve et au VIIe siècle ap. J.-C. ont vu les ruines de Kapilavatthu. Ces pèlerins nous ont laissé sur leur itinéraire des renseignements qui concordent de la façon la plus exacte avec les données directes ou les allusions indirectes qui se rencontrent dans les livres pâlis sur l’emplacement de ces mêmes localités. En les suivant, on a retrouvé près du bourg népâlais de Paderia, à deux milles anglais au Nord de la ville de Bhagvânpour, la colonne, déjà vue par le pèlerin Hiuan-tsang et que, vers le milieu du IIIe siècle avant notre ère, le roi Açoka avait érigée dans le jardin Lumbinî, au lieu de naissance du Bouddha (l’inscription découverte sur cette colonne en fait foi), disant :
« ici est né le Bouddha, le sage de la race des Sakyas... Il a érigé une colonne de pierre qui fait savoir : Ici est né le Bienheureux. »
A quelques milles au Nord-Ouest de cet endroit, vers Piprâvâ, on découvrit ensuite, dans un monument en briques destiné à recevoir des reliques, une urne qui serait, d’après l’inscription qu’elle porte, « un reliquaire du bienheureux Bouddha de la race des Sakyas. » Pourra-t-on encore douter, à présent qu’Açoka en personne s’est présenté comme témoin, que la domination des Sakyas se soit vraiment et effectivement étendue sur cette région ?
Il n’est pas jusqu’à la mère du Bouddha, Mâyâ (c’est-à-dire « puissance magique »), chez qui la critique, à cause de son nom significatif, n’ait voulu trouver de secrètes intentions. Pour Senart, Mâyâ, qui meurt peu de jours après la naissance de son fils, est la vapeur matinale qui s’évanouit devant les rayons du soleil ; mais n’y a-t-il pas aussi sur la terre d’innombrables mères — celle de Nâtaputta fut plus heureuse — à qui la naissance d’un enfant coûte la vie ? De son côté Weber avait d’abord voulu reconnaître dans le nom de Mâyâ une allusion au pouvoir cosmogonique de la Mâyâ dans la philosophie Sânkhya ; il est revenu depuis sur cette opinion et fait observer à ce propos que le concept de la Mâyâ appartient non pas à la doctrine Sânkhya mais au système Vedânta ; on peut ajouter que toute conception moitié philosophique, moitié mystique de la Mâyâ est complètement étrangère aux textes anciens du Bouddhisme et qu’ainsi, le nom de la mère du Bouddha ne saurait avoir été imaginé par égard pour une notion de ce genre.
Il nous faut reconnaître que nous avons une plus grande confiance dans la tradition. Nous croyons que le Bouddha a vraiment passé sa jeunesse dans la ville de Kapilavatthu et que les textes sacrés nomment sa mère Mâyâ, non par goût pour des mystères mythiques ou allégoriques, mais parce que tel était son nom.