JEUNESSE DU BOUDDHA
Entre les contreforts de l’Himâlaya dans le Népâl et le cours moyen de Rapti , qui arrose la partie nord-est de la province d’Aoudh, s’étend une bande de plaine, large d’environ trente milles anglais, et qui dépend en partie du Népâl, en partie des districts de Basti et de Gorakhpour. Au Nord, le long des montagnes, elle appartient au Téraï, à cette grande zone de forêts, abondamment arrosée, qui règne au pied des premières pentes. Vient ensuite, au Sud, un pays fertile, toujours très boisé, plein de lacs poissonneux, sillonné de nombreuses rivières promptes à déborder. Là était situé le domaine assez restreint, dont les Sakyas étaient les seigneurs et maîtres. A l’Est, la Rohinî les séparait de leurs voisins ; aujourd’hui encore cette rivière a gardé le nom qu’elle portait il y a plus de deux mille ans. A l’Ouest et au Sud la domination des Sakyas a dû s’étendre jusqu’à la Rapti ou peu s’en faut.
Nulle part peut-être l’aspect d’un pays ne dépend aussi complètement des façons de faire des habitants que dans cette partie de l’Inde voisine de l’Himâlaya. La montagne déverse chaque année un volume d’eau considérable ; le travail de l’homme décide si cette eau fera la prospérité ou la ruine du pays. Dans des temps de trouble et d’incurie ces contrées ne sont qu’un désert marécageux, où règnent des miasmes pestilentiels ; vingt, ou trente ans de sécurité et de travail suffisent pour y développer une culture riche et prospère ; que les mêmes causes de décadence se présentent de nouveau et la contrée retourne encore plus vite à l’état de désert.
Au temps de la domination des Sakyas ce pays doit avoir été très bien cultivé ; il a de nouveau atteint un haut degré de culture sous le gouvernement du grand empereur Akbar ; puis est venue une longue période de troubles ininterrompus et de profonde décadence ; aujourd’hui enfin, sous la main bienfaisante de l’administration britannique qui s’occupe d’amener dans le pays les moyens de travail qui y font défaut, il commence — dans la partie qui relève de cette administration — à retrouver son ancienne prospérité.
Entre de hautes futaies d’arbres sâlas, s’étendait la richesse monotone et dorée des rizières : la culture du riz, dont les textes bouddhiques mentionnent déjà l’existence, représente aujourd’hui comme autrefois la culture principale de ce pays. Sur le sol excellent de ces plaines basses, l’eau de la saison des pluies et des inondations séjourne longtemps : ainsi l’arrosage des terres, indispensable à la culture du riz et extrêmement difficile à obtenir artificiellement, se trouve rendu presque entièrement superflu. Au milieu des champs de riz, nous pouvons nous représenter, au temps des Sakyas comme au nôtre, épars dans la plaine, des villages cachés dans le riche feuillage vert sombre des manguiers et des tamarins qui entourent l’étang communal. La capitale, Kapilavattu, ne peut guère avoir eu grande importance : toutefois il en est question dans un vieux dialogue bouddhique comme d’une ville richement peuplée, et où, dans les rues étroites, se pressaient en foule éléphants et chars, chevaux et piétons. Elle était située dans le Nord du pays des Sakyas, sur un territoire aujourd’hui népâlais et occupé par les forêts marécageuses du Téraï, proche de la chaîne sombre des montagnes du Népâl, au-dessus de laquelle s’élèvent jusqu’au ciel les cimes neigeuses de l’Himâlaya.
L’État des Sakyas était une de ces petites principautés aristocratiques comme il s’en était conservé beaucoup sur les frontières des grandes monarchies indiennes ; nous pouvons voir dans les Sakyas quelque chose comme les précurseurs de ces familles Rajpoutes modernes qui ont souvent réussi à maintenir leur indépendance dans des luttes à main armée contre les Rajas voisins. De ces grandes monarchies indiennes dont nous parlions, celle qui se trouvait dans les rapports les plus étroits avec les Sakyas était le puissant royaume de Kosala (correspondant à peu près à l’Aoudh moderne) qui les avoisinait à l’Ouest et au Sud. Les Sakyas se considéraient eux-mêmes comme des Kosalas, comme des descendants d’enfants du grand roi légendaire Okkâka (Ikshvâku) que des intrigues de harem auraient chassés vers la montagne. Les rois de Kosala revendiquaient sur eux certains droits, peut-être purement honorifiques : plus tard ils doivent avoir soumis à leur pouvoir tout le pays des Sakyas et exterminé leur lignée.
Ainsi, comme puissance politique, les Sakyas n’occupaient qu’une place modeste parmi leurs voisins : mais l’esprit altier qui respirait dans cette antique race était passé en proverbe ; on disait : « Orgueilleux comme un Sakya. » Les Brahmanes, qui avaient été admis dans leurs conseils, en savaient quelque chose : ils savaient combien ces seigneurs mondains étaient peu disposés à tenir compte des prétentions de l’aristocratie religieuse. Souvent aussi il est question dans nos sources de la richesse des Sakyas ; on en parle comme d’une « race fortunée, comblée de biens et de voluptés » ; on mentionne l’or qu’ils possèdent et celui que recèle le sol de leur royaume. La source principale de toute cette richesse était sans doute la culture du riz : on n’aura pas manqué non plus de tirer parti de la position avantageuse du pays qui semble fait exprès pour servir d’intermédiaire commercial entre la région des montagnes et la plaine du Gange.