7 Mars 2025
Avec cette ère nouvelle de la vie du Bouddha commence dans nos sources un fragment narratif de plus longue haleine. Nous y voyons comment l’ancienne Communauté s’est représenté les premières démarches publiques du Bouddha, la conquête des premiers disciples, la défaite des premiers adversaires. De longtemps encore on ne s’avisa pas de chercher à esquisser un tableau suivi de la vie du Maître : mais on devait naturellement attacher un intérêt particulier aux premiers temps de sa vie comme aussi à ses derniers jours ; et c’est ainsi que de très bonne heure (car l’on ne saurait méconnaître le caractère archaïque du récit), ce fragment de sa biographie s’est fixé sous sa forme traditionnelle. Chacun en a pu faire sur soi-même l’expérience : après une longue suite monotone de jours, les souvenirs finissent par flotter pêle-mêle et se confondre ; seuls quelques moments ont le privilège de se conserver clairement — ou du moins avec une clarté comparative — dans la mémoire : ce sont les premiers commencements, les jours où tout était nouveau, où l’on trouvait sa voie.
LES QUATRE FOIS SEPT JOURS. — On ne peut lire le début du récit en question sans qu’il rappelle à l’esprit la tradition de nos Évangiles. Avant de commencer sa prédication publique, Jésus reste jeûner quarante jours dans le désert et il était tenté par Satan, « et il était chez les bêtes, et les anges le servaient ». De même le Bouddha, avant de se mettre en route pour prêcher sa doctrine, demeure quatre fois sept jours à jeûner dans le voisinage de l’arbre de la Science, « goûtant la félicité de la Délivrance ». Après une lutte pénible il a remporté la victoire ; avant de s’engager dans de nouveaux combats, il s’arrête, comme il est juste, pour respirer et jouir de sa conquête ; avant de prêcher aux autres la Délivrance, il se donne un peu de temps pour goûter sa propre félicité.
Les sept premiers jours, le Bouddha demeure plongé dans la méditation, au pied même de l’arbre sacré. Dans la nuit qui suit le septième jour, il fait défiler devant son esprit l’enchaînement des causes et des effets d’où découle la douleur de l’existence : « De l’ignorance proviennent les formations, des formations provient la connaissance », et ainsi, après une longue série de termes intermédiaires : « Du devenir provient la naissance, de la naissance proviennent vieillesse et mort, douleur et plainte, peine, chagrin et désespoir. » Mais si la première cause est supprimée, d’où dépend cette chaîne d’effets, si l’ignorance est abolie, tout ce qui en découle tombe du même coup et toute douleur est vaincue.
Au milieu de ces découvertes le Bienheureux prononça à ce moment cette stance :
« Quand se dévoile le règne de l’ordre éternel
— aux méditations, aux ardentes méditations du Brahmane,
— alors il n’est point de doute qui ne doive s’enfuir,
— quand l’origine de toute chose lui devient connue. »
Trois fois, dans les trois veilles de la nuit, il fit défiler devant son esprit toute cette série de causes et d’effets qui s’enchaînent : enfin il prononça cette stance :
« Quand se dévoile le règne de l’ordre éternel
— aux méditations, aux ardentes méditations du Brahmane,
— le Brahmane terrasse les légions du tentateur,
— pareil au soleil qui rayonne il traverse les nuages. »
Puis, quand les sept jours furent passés, le Bouddha se leva de ces pensées dans lesquelles il était plongé, il abandonna sa place sous l’arbre de la Science et il alla vers le figuier Ajapâla (l’arbre des chevriers).